Interconnexions à travers les droits relatifs à l'habitat et le droit à la ville

Interconnexions à travers les droits relatifs à l'habitat et le droit à la ville

La société civile et les gouvernements locaux s’associent aux rapporteurs spéciaux des Nations unies lors d'une première table ronde pour envisager des pistes de travail communes

Le vendredi 4 décembre, la Plateforme globale pour le droit à la ville (GPR2C), la Coalition internationale de l’Habitat (HIC) et Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) ont co-organisé, dans le cadre des sessions #CitiesAreListening, la table ronde « Interconnexions à travers les droits relatifs à l’habitat et le droit à la ville » : un point de départ pour renforcer la coopération entre les rapporteurs spéciaux, les organisations de la société civile (OSC) et les gouvernements locaux et régionaux dans le cadre des droits humains liés à l’habitat et au droit à la ville. Cette première table ronde a rassemblé M. Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains à l'eau potable et à l'assainissement; M. Felipe González Morales, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains des migrant·e·s; M. Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre et M. Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement convenable.

 [Vidéo clip 1 : remarques introductives]

Comment les priorités des mandats des rapporteurs spéciaux se recoupent-elles avec les droits humains liés à l'habitat et au droit à la ville ? Ainsi qu’avec celles des organisations de la société civile et des collectivités territoriales en général ?

La table ronde a commencé par un examen des principales priorités de chaque rapporteur spécial et leurs points de convergence avec l'approche des droits liés à l'habitat et au droit à la ville. Sont résumés ci-après les principaux éléments soulevés lors de leurs interventions :

Le droit à l'eau potable et à l'assainissement - M. Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations unies

  • L'eau et l'assainissement constituent une question transversale d'une importance capitale pour les couches les plus vulnérables et marginalisées de la population, y compris les populations autochtones, les habitant·e·s des établissements informels, les migrant·e·s et les réfugié·e·s.
  • L'accès à l'eau potable et à l'hygiène vont de pair avec l'accès à un logement convenable et à la santé publique.
  • La coordination et le travail continu avec la société civile et les gouvernements locaux et régionaux sont essentiels, ainsi que la création de réseaux entre ces act·eurs·trices, les universités et les expert·e·s.

Les droits humains des migrant·e·s - M. Felipe González Morales, rapporteur spécial des Nations unies

  • La protection des droits humains des migrant·e·s est étroitement liée à tous les mandats, en particulier en termes d'accès aux services publics tels que la santé, l'éducation, la justice et le logement.
  • Il est important de veiller à ce que les migrant·e·s ne renoncent pas à demander de l’aide par crainte d'être détenu·e·s ou expulsé·e·s en établissant des pares-feux robustes entre les services publics et les services d’immigration.
  • Il est essentiel de faire progresser la régularisation des migrant·e·s dans les villes, ce qui implique une collaboration entre les collectivités territoriales et la société civile pour garantir l'inclusion et l'intégration sociales plutôt que l'assimilation, s'éloigner de la criminalisation des migrant·e·s et garantir la participation des migrant·e·s aux espaces civiques.
  • Il est fondamental que les associations de maires et les OSC aient une représentation permanente dans la mise en œuvre et le suivi du Pacte mondial sur les migrations.

Le droit à la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre

M. Víctor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations unies

  • Les expériences particulières des populations LGBTQI+ sont intrinsèquement liées au droit à la ville.
  • Les identités LGBTQI+ ne doivent pas être confinées à la sphère privée : elles constituent des identités politiques qui nécessitent et méritent d’être investies politiquement. Au-delà de la décriminalisation, tous les niveaux de gouvernement doivent veiller à promouvoir la tolérance, la diversité et le pluralisme comme fondement de la construction des villes et des territoires.
  • Tous les niveaux de gouvernement doivent prendre des mesures de discrimination positive pour assurer la protection des personnes LGBTQI+ contre la honte, l'exclusion et les abus dans les espaces publics, y compris en garantissant la sécurité des rues, des parcs, des transports et des installations. Cela comprend la reconnaissance, le traitement et la condamnation des lois relatives à l'espace public qui peuvent être utilisées pour criminaliser la présence de populations LGBTQI+ comme les soi-disant « zones franches LGBTQI+ ».
  • Tous les échelons de gouvernement, en coopération avec le corps de police, doivent être engagés pour faciliter une compréhension des risques accrus auxquels les populations LGBTQI + sont confrontées, améliorer les relations et ouvrir des voies de communication et de compréhension mutuelle.

Le droit à un logement convenable - M. Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial des Nations unies

  • Le croisement entre les questions de non-discrimination et de ségrégation spatiale selon l'ethnie, la religion, l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, perpétuées par la dépossession et qui constituent de nouvelles manifestations de l'apartheid.
  • L’une des priorités du mandat est d’aborder la corrélation entre le déplacement et les effets du changement climatique en garantissant le droit des populations de rester ou de partir. Dans les deux cas, le consentement des populations affectées est essentiel.
  • La capacité du gouvernement à tous les niveaux d'arrêter les expulsions est une leçon clé du COVID-19. Avec de la volonté politique, les actions gouvernementales peuvent faire la différence, les gouvernements locaux et régionaux étant au premier plan des actions innovantes.
  • La nécessité de repenser la gouvernance foncière au-delà de la sécurité foncière. La propriété étant au cœur des systèmes économiques, il est nécessaire de promouvoir des alternatives économiques telles que les approches d'économie solidaire le long d'un continuum rural-urbain, en adoptant une approche plus « pluriverselle » du logement, au moyen d’une valorisation accrue des logements ruraux, autochtones et autres, et en abordant la question de la souveraineté foncière.

[Vidéo clip 2 : Les rapporteurs spéciaux partagent leurs 3 priorités de mandat en relation avec les droits à l’habitat et le droit à la ville]

Réactions et priorités des organisations de la société civile et des collectivités territoriales

Les représentant·e·s des trois réseaux co-organisateurs de l’évènement ont réagi en partageant les priorités clés de leurs organisations et de leurs membres, résumées ci-dessous :

Philippe Rio - maire de Grigny et coprésident de la Commission d'inclusion sociale, de démocratie participative et des droits humains de CGLU (CISDPDH)

  • Les gouvernements locaux et régionaux sont le niveau de gouvernement le plus proche des citoyen·ne·s et, en tant que garants de la fourniture de services, doivent être inclus dans les espaces de prise de décision.
  • La nécessité d'une nouvelle forme de multilatéralisme qui soit plus inclusive et basée sur les besoins des communautés. Étant donné le lien entre les objectifs des rapporteurs spéciaux et la prestation de services publics locaux, il est essentiel que les collectivités territoriales et les rapporteurs spéciaux collaborent pour garantir que personne ni aucun territoire ne soit laissé pour compte.

Maite Rodriguez Blandón - coordonnatrice du Réseau latino-américain Femmes et Habitat et représentant le Groupe de travail sur les femmes, le genre et la diversité de la GPR2C

  • L'importance du cadre du droit à la ville, en tant qu'approche intégrale qui permet de voir l'interdépendance et l'interconnexion entre les droits et leur traduction à l’échelle du territoire et dans les communautés.
  • La nécessité d'adopter une approche intersectionnelle qui s'engage dans l'agenda féministe concernant les droits liés à l'habitat et le droit à la ville, et qui intègrent des éléments tels que la discussion autour des sphères publique et privée, la division du travail selon le sexe et les différentes utilisations du temps, des espaces et des installations.
  • La façon dont la COVID-19 a exposé la fragilité de la protection des droits des femmes et des filles dans différents territoires, allant de l'accès à la nourriture, au logement et à la sécurité jusqu’à la fracture numérique, parmi d’autres dimensions importantes.

Joseph Schechla - Coordinateur du réseau HIC - Logement et droits fonciers

  • Il est nécessaire de combiner la ville et le contexte urbain en tant que lieu particulier de lutte, mais aussi de ne pas oublier l'universalité des droits humains déjà codifiés et émergents et le concept plus inclusif de l'habitat humain.
  • Il est important de valoriser les zones rurales et leurs habitant·e·s, tout en étant conscient·e du changement climatique, de l'importance de la continuité de l’occupation légitime du foncier, de la nécessité d’une démarchandisation et en traitant la terre comme un besoin humain universel et un droit humain, du point de vue de sa fonction sociale. L'inclusion et la terminologie de l'habitat des droits humains sont importantes, ainsi que la reconnaissance de ces approches intersectionnelles et transversales dans les engagements précédents, tels que le programme Habitat II.

[Vidéo clip 3 : les collectivités locales et OSC partagent leurs 3 priorités + commentaire de la modératrice + réactions des rapporteurs spéciaux]

Comment renforcer la collaboration entre les rapporteurs spéciaux, les organisations de la société civile et les collectivités locales ?

S'appuyant sur l'identification de priorités thématiques communes, la discussion a par la suite exploré les pistes de collaboration existantes et possibles à l’avenir. Les rapporteurs ont souligné l'importance de travailler avec les organisations de la société civile, les gouvernements locaux et d'autres parties prenantes, telles que les universités. M. Gonzalez Morales a notamment fait observer l'augmentation de la participation et de la sensibilisation entre les organisations de la société civile et les rapporteurs spéciaux au cours de la dernière décennie. Cette tendance peut être encore renforcée par des efforts visant à élargir la diffusion auprès des communautés et à accroître la visibilité de leur travail, comme l'a exprimé Maria Silvia Emannuelli, coordinatrice de HIC en Amérique latine. Cette dernière a évoqué la possibilité de produire des documents dans un langage accrocheur et accessible, en utilisant les réseaux sociaux et des vidéos et en organisant des consultations en ligne même après la levée des restrictions de voyage.

M. Arrojo et M. Rajagopal ont souligné les possibilités de travail conjoint avec les autorités locales également en termes de mise en œuvre des recommandations, dans des domaines tels que la gestion des services d'eau et d'assainissement ou en réinventant la gouvernance foncière au niveau local. En ce sens, Amanda Flety Martínez, coordonnatrice de la Commission d'inclusion sociale, de démocratie participative et de droits humains de CGLU (CSIDPDH), a souligné à quel point les décisions prises par les gouvernements locaux et régionaux ont un impact direct sur les droits liés à l'habitat et le droit à la ville. Elle a par exemple mentionné les expériences entre le CISDPDH et les villes en lien avec la remunicipalisation de l'eau, la citoyenneté pour les migrant·e·s dans les villes ou des mesures pour lutter contre la ségrégation spatiale.

[Vidéo clip 4 : les rapporteurs spéciaux évoquent les mécanismes de coopération mis en évidence + commentaire du modérateur Rodrigo Faria]

Bien que la collaboration se poursuive, les rapporteurs spéciaux, tels que M. Gonzalez Morales et M. Arrojo, ont convenu qu'il est essentiel d'avancer vers des formes plus permanentes de dialogue avec les organisations de la société civile et les gouvernements locaux, un point repris par les personnes représentantes de la société civile. Mme Emannuelli a évoqué la possibilité de réactiver un groupe consultatif auprès d'ONU-Habitat axé sur les expulsions forcées, tandis qu'Irene Escorihuela (Observatoire DESC / GPR2C) a également souligné la possibilité de collaborer conjointement avec les rapporteurs spéciaux sur des directives concernant des thèmes particuliers, comme celui du droit à la ville. Toutes deux ainsi que M. Rajagopal ont également relevé l’importance de travailler ensemble de manière plus stable dans le suivi des communications et des visites dans les pays, mais aussi autour des décisions des organes de traités des Nations unies chargés des droits humains.

Les possibilités d'élargissement de la coopération entre les différents mandats ont également été soulignées par M. Madrigal et M. Arrojo, qui ont évoqué la collaboration antérieure et en cours avec d'autres rapporteurs spéciaux. M. Rajagopal a mentionné la possibilité de travailler avec les organisations de la société civile sur la manière dont elles peuvent s'engager avec le pouvoir judiciaire de manière plus créative, notant son rôle en termes d'expulsions ; un point similaire fait par Mme Escorihuela, qui a également souligné les possibilités de travail transversal sur la tendance croissante à la privatisation du logement, de l'eau, des autres services et sphères de la vie urbaine.

Enfin, M. Rajagopal a également souligné l'importance d'une alliance conjointe entre les rapporteurs spéciaux, les organisations de la société civile et les gouvernements locaux pour diversifier les espaces d'action dans le système multilatéral, en faisant mention du rôle croissant des villes dans le multilatéralisme et le plurilatéralisme. Un tel argument a également été repris par Rodrigo Faria Lacovini de la GPR2C, soulignant l'importance d'une action conjointe afin que les organisations de la société civile et les gouvernements locaux puissent avoir un impact sur un système international encore largement dominé par les États-nations.

[Vidéo clip 5 : réactions sur les mécanismes de coopération des OSC et des réseaux de collectivités locales]

Prochaine étape : le début d'un dialogue permanent

Ces contributions ouvrent la voie à une coopération accrue entre les rapporteurs spéciaux, les organisations de la société civile et les gouvernements locaux dans le cadre des droits liés à l'habitat et du droit à la ville. En conclusion de la session, Adriana Allen, présidente de la Coalition internationale de l'Habitat, a souligné que les échanges ont commencé avec l’objectif de générer des « interconnexions », mais que l'intention collective de travailler ensemble est devenue explicite et plus forte tout au long du dialogue, avec des propositions concrètes et percutantes pour aller de l’avant. De même, Emilia Saiz, secrétaire générale de CGLU, a fait valoir que travailler ensemble est le seul moyen de faire en sorte que les communautés et les gouvernements locaux puissent jouer un rôle actif pour construire l'avenir. Enfin, Lorena Zárate, de l'équipe de soutien de la GPR2C, a souligné que cette réunion n'était que le début d'un chemin collectif pour mettre en avant une approche spatiale et territoriale afin de relier les différents défis à relever. Elle a également rappelé que la conversation se poursuivra en 2021, avec un deuxième chapitre qui aura lieu en présence d'autres rapporteurs spéciaux, afin d’approfondir et de s'appuyer sur le premier cycle de discussions.

[Vidéo clip 6 : clôture par Lorena Zárate, Adriana Allen et Emilia Saiz]